Outils de suivi du personnel ou « patrongiciels »?
À la fin de 2020, une entreprise de nettoyage de l’Alberta a demandé à ses employés de télécharger une application qui permettrait de surveiller leurs allées et venues lorsqu’ils sont au travail. L’application, appelée Blip, utilise le GPS pour générer une frontière virtuelle qui détecte quand un employé entre ou quitte le lieu de travail. Elle enregistre un signal émis par le téléphone portable du travailleur, de sorte que l’employeur sait si un employé est sur le lieu de travail et combien d’heures il travaille. Une employée a invoqué des préoccupations relatives à la vie privée (et le fait d’être traitée comme une enfant) et a refusé. Elle a été congédiée.
Bien que la surveillance des employés ne soit pas une nouveauté (en 1914, Henry Ford suivait ses employés [en anglais seulement] sur leur lieu de travail et même à leur domicile), bon nombre des technologies qui permettent de le faire sont nouvelles.
Si vos outils de traçage vous permettent aussi d’espionner votre personnel, devriez-vous le faire?
Le nombre croissant de travailleurs à domicile amène les employeurs à se préoccuper de garder contact avec leur personnel. Des outils proposés par Microsoft, Google, Slack et d’autres fournisseurs donnent un aperçu des habitudes de communication et autres habitudes de travail, ce qui, selon eux, peut aider les employés à être plus productifs. Par exemple, des outils d’analyse comme Teams peuvent déterminer si trop de réunions sont programmées après les heures de travail ou combien de temps est passé à créer ou à lire du contenu ou à collaborer.
Plusieurs entreprises ont pris des mesures pour s’assurer que toutes les données recueillies par leurs outils ne permettent pas de distinguer les activités individuelles du personnel. Dans une interview accordée à Computerworld, un porte-parole de Microsoft précise « Nous sommes convaincus que les données offrent une perspective susceptible d’aider les gens, les équipes et les organisations à bien des égards, qu’il s’agisse de réduire le délai du soutien technique ou de favoriser le mieux-être. Nous ne sommes toutefois pas en faveur de la surveillance du personnel. »
Cependant, les applications de traçage controversées, aussi appelées « patrongiciels », suscitent de plus en plus d’intérêt. Ces outils permettent aux dirigeants de surveiller en détail les activités de leur personnel, à la manière de « Big Brother ».
Certaines applications peuvent suivre le personnel en temps réel, faire des captures d’écran des ordinateurs des travailleurs à intervalles réguliers, enregistrer les frappes au clavier et ce qui apparaît à leur écran. Dans certains cas, ces outils peuvent être installés à l’insu du personnel. Certaines de ces applications permettent de faire notamment ce qui suit.
StaffCop : permet de voir en temps réel l’écran de l’ordinateur du personnel en télétravail, de suivre l’historique de la navigation sur internet, d’enregistrer l’historique de l’utilisation des programmes et des frappes au clavier.
Activtrak : donne des informations détaillées sur l’emploi du temps du personnel, en classant des applications et sites web comme productifs ou improductifs.
CleverControl : les administrateurs peuvent enregistrer les sons provenant du microphone et des haut-parleurs d’un employé pour surveiller les conversations pendant un appel.
Si la technologie vous permet d’espionner votre personnel, devriez-vous le faire?
Rita Selvaggi, cheffe de la direction d’ActivTrak, répond par la négative ; même si le logiciel de son entreprise peut fournir des comptes-rendus précis et prendre automatiquement des captures d’écran. « Nous privilégions la connaissance par rapport à la surveillance ; les données doivent être utiles et ne doivent pas nécessairement être utilisées aux seules fins de surveillance ou de contrôle. »
La surveillance du personnel est-elle légale au Canada?
Toutes les provinces et tous les territoires ont une législation qui régit la collecte, l’utilisation et la communication des renseignements personnels dans le secteur public. Toutefois, dans le secteur privé, seuls la Colombie-Britannique, l’Alberta et le Québec ont une législation similaire.
La Personal Information Protection Act (PIPA) de l’Alberta autorise les entreprises à recueillir des renseignements personnels sur les employés à des « fins raisonnables liées au recrutement, à la gestion ou à la cessation d’emploi », à condition que les employés reçoivent un « avis raisonnable » et des renseignements sur les raisons pour lesquelles ces renseignements sont recueillis. Elle précise également qu’une organisation « doit donner à la personne une possibilité raisonnable de refuser de donner son consentement. »
Dans une entrevue accordée à l’émission Go Public de la CBC, Soma Ray-Ellis, avocate en droit du travail à Toronto, explique que les employeurs ne sont souvent pas suffisamment informés de la manière dont les données seront utilisées, ce qui rend le consentement éclairé difficile. L’avocat Lior Samfiru ajoute que l’on peut exiger des employés qu’ils téléchargent une application sur leur téléphone cellulaire, mais seulement si on leur dit que c’est une exigence au moment de l’embauche. Dans le cas contraire, refuser de la télécharger n’est pas considéré comme une inconduite et un motif de licenciement.
À l’automne dernier, le gouvernement du Canada a présenté un projet de loi intitulé Loi de 2020 sur la mise en œuvre de la Charte du numérique. Une fois en vigueur, cette loi vise à moderniser et à clarifier la protection des renseignements personnels dans le secteur privé.
Ressources (en anglais seulement)
https://www.cbc.ca/news/gopublic/tattleware-privacy-employment-1.5978337